Les Cahiers du Jeux Vidéo vol. 3 - Les légendes urbainesLes Cahiers du Jeux Vidéo, paraissant aux éditions Pix'n Love proposent une analyse original du média qui nous passionne tous ici. Après la guerre et le foot, le sujet abordé est plus large, on sent que la collection atteint une certaine maturité, tant sur le fond que la forme, la maquette sachant s'adapter à chaque sujet, rendant la lecture parfois ludique. Pour en savoir un peu plus sur cette collection, quoi de mieux que de poser quelques questions à Tony Fortin, directeur de la collection.

Sur les Cahiers du Jeu Vidéo en général, d'où vient l'idée de faire ce genre de chose ?

Cela fait déjà plusieurs années que je tente avec d’autres personnes de proposer une vision un peu nouvelle des jeux vidéo grâce au site Planetjeux.net autour duquel gravite une petite communauté. La rencontre avec Pix’n Love en 2007 a été déterminante. Je voyais une petite boite sérieuse, avec la tête sur les épaules, sortir un mook de qualité. Je me suis dit pourquoi ne pas leur proposer une revue thématique sur les jeux vidéo, j’étais même convaincu que « c’était le moment ou jamais ! ». Ca tombait assez bien, Sébastien Mirc souhaitait lui-même créer une sorte d’encyclopédie des jeux vidéo. A notre grand bonheur, les Cahiers ne ressemblent pas vraiment à l’Encyclopédie Universalis mais on s’est entendu sur le principal : proposer une vision novatrice des jeux, qui défriche de nouveaux territoires, et soigner autant le fond que la forme, avec une mise en page pop et dynamique. La direction artistique est en effet assurée par Marc Pétronille qui a fait des merveilles sur le troisième numéro avec son frère Luc.

N'as-tu pas peur de larguer le public avec des analyses qui n'ont rien à voir avec les habituels tests de jeu vidéo ?

C’est une bonne question. En fait, cela fait depuis longtemps que les discours sur les jeux vidéo ne sont pas réduits aux guides d’achat. Ce qui manque aux tests, c’est surtout la mise en perspective. Or si on prend l’exemple des magazines et sites de retro-gaming, cette mise en perspective est effectuée d’un point de vue historique. Mais en critiquant les jeux sur des critères beaucoup plus atemporels que les tests classiques limités à l’offre du moment, le retro-gaming a aussi fait avancer notre regard global sur le jeu. Les retro-gamers nous disent que le jeu oldie n’est plus obsolète, qu’il vit aujourd’hui et a encore bien des choses à nous raconter. C’est aussi la mission des Cahiers : faire avancer ce regard-là. Mais il ne faut pas se méprendre sur deux choses : notre but n’est pas de s’élever comme référence – au contraire nos ouvrages sont blindés d’imperfections - mais de proposer une approche complémentaire aux tests classiques. Certains gamers terrorisés pensent sans doute que nous voulons faire pour les jeux vidéo l’équivalent des Cahiers du cinéma, et consacrer nos pages à des produits auxquels personnes ne jouent. Autant les rassurer tout de suite : nous ne voulons pas élever le jeu vidéo en tant qu’art, ni appliquer une politique des auteurs – que nous discutons d’ailleurs - mais plutôt étudier le jeu vidéo tel qu’il est, tel qu’il est joué aussi, en prenant en compte toutes ses contradictions, et en le situant au confluent de nombreuses influences (ciné, littérature, politique, etc.). Pour caricaturer, notre but n’est certainement pas de nous exclamer à chaque fois que Nietzsche est cité dans un jeu vidéo, ce genre de chose produirait d’ailleurs plutôt chez nous l’effet inverse. C’est souvent dans ce qu’il contient de représentations involontaires, banales ou innocentes (les représentations des voyous dans Streets of Rage par ex.), ou dans ses pures mécaniques de gameplay que le jeu tient un discours intéressant.

Les deux premiers volumes sont très ciblés : la guerre et le foot, qui se rapportent à un genre de jeu en particulier. Avec ce troisième volume, le sujet est la ville. Cela permet d'aborder des types de jeu beaucoup plus variés, touchant ainsi un public plus large. Est-ce une volonté clairement définie ?

Nous accordons plus d’importance à la façon dont les thèmes sont traités qu’à leur choix. Par exemple dans le numéro sur le foot, on peut aborder le match médiatique Fifa/PES d’une manière très classique, en analysant le gameplay et en considérant qu’il fait tout dans le succès d’un jeu de foot. Mais on peut tout aussi bien assortir cette réflexion d’une enquête sur les liens entre les journalistes spécialisés et les éditeurs de jeux, comme l’a mené William Audureau le coordinateur du numéro, et tout de suite, le succès d’un PES ou d’un Fifa paraîtra beaucoup plus complexe… Les Cahiers existent aussi parce que certaines questions ne sont jamais posées, ou trop rarement.

A l'image du sujet, l'équipe rédactionnelle vient d'horizons très différents, peux-tu nous dire comment as-tu réuni cette équipe ? Peux-tu en faire une présentation ?

Je crois que le plus grand piège d’une collection comme celle-ci serait de se recroqueviller sur elle-même. Au contraire, nous avons fait le choix de l’ouvrir à des gens très variés : joueurs, forumeurs, chroniqueurs, game designer, universitaires… qui éclairent selon leur sensibilité le thème donné. En gros, les numéros ont leurs propres auteurs, leur propre identité aussi. Nous voulons que chaque nouvelle publication soit une révolution par rapport à la précédente car il n’y a aucune raison de tomber dans les tics et la répétition. Il y a bien sûr un noyau dur autour duquel tourne la collection : mes amis de Planetjeux dont l’inspiration ne faiblit pas malgré l’épreuve du temps ;) et qui officient aujourd’hui dans des magazines, blogs, autres sites… De manière générale, les Cahiers étant une revue de niche, voire un peu underground, on a tout intérêt à rechercher des gens curieux, indépendants d’esprit, qui aiment secouer les cocotiers, et à éviter les intervenants assis sur leur légitimité et convictions. Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, les premiers se trouvent aussi bien à JeuxVideoMagazine que sur un forum obscur…

Pourquoi cette thématique de la ville ? Peux-tu présenter un peu ce volume, les sous-thèmes abordé ?

La ville est un thème fascinant, qui permet d’aborder autant les grands débats de notre époque (l’insécurité, les inégalités sociales, la place des minorités, la peur de la modernité…) que de pures questions de game design (le jeu comme « architecture » ). C’est là sa force. On examine aussi le rapport entre les jeux vidéo et la street culture (De Blob, Mirror’s Edge, Skate., PGR) Le dernier chapitre « Doutes & convictions » tente de cerner les paradoxes qui agitent le game design de la ville. Les villes-labyrinthes figurent le chaos (Fallout 3, Shin Megamei Tensei) autant que la mégalopole de SimCity la perfection urbaine. Si dans le premier cas, l’analyse s’achève sur un constat pas si pessimiste que ça (le joueur surmonte malgré tout la débâcle apocalyptique), dans le second cas, « la ville idéale » que représente SimCity encourage bien en pratique, dans le jeu, les phénomènes dénoncés depuis de nombreuses années par la littérature SF : la gentrification urbaine et les ségrégations sociales. Ce n’est sans doute pas un hasard si comme le montre très bien Martin Lefebvre les beat’em all se sont toujours nourris d’une vision anxiogène de la ville : les ségrégations sociales génèrent des street gangs qui sont dans les jeux les avatars des pauvres et des « marginaux » (les punks, prostitués de Streets of Rage…). Aujourd’hui, on introduirait sans doute « les jeunes des banlieue » dans les beat’em all au milieu des punks à crête et malfrats cravatés… Honnêtement, il y a de quoi faire réfléchir. Plutôt que de porter un regard moralisateur sur ces jeux, il faut plutôt mettre à l’épreuve nos représentations de la ville et des minorités.

Le petit mot de la fin ?

Si jamais vous êtes intéressés par les Cahiers, allez-y sans a priori. Et n’hésitez pas à lancer des débats, à secouer les auteurs. Vous devez tout faire pour contester ce qu’ils disent, car ce qu’ils disent n’est pas qu’une analyse qu’on lit au coin du feu et qu’on range après soigneusement dans sa bibliothèque, c’est surtout une invitation à bouleverser ses opinions préétablies sur le jeu, et à en discuter.

Merci Tony pour ta disponibilité !

Pour en savoir plus, n'hésitez pas à aller voir le site des éditions Pix'n Love et à soutenir l'initiative !