Chroniqué par Nicolas Gilles
Jeudi 5 mars 2020 : je craque, j’achète Gloomhaven en me disant qu’en tant que fan de jeux de société, il faut que je m’y frotte sérieusement malgré mon manque de temps. Mardi 17 mars : confinement partout en France lié au Covid. Hasard ? Je ne crois pas non !Un jeu taillé pour Kickstarter
Gloomhaven, c’est un peu un phénomène. Il est quasi indétrônable en tête du classement des jeux les mieux notés du site Board Game Geek, la référence mondiale pour les fans de jeux de société.
Tout a commencé par un Kickstarter. Et pour faire un jeu aussi énorme, il n’y avait bien que les plateformes de financement participatif pour pouvoir permettre à un tel jeu de voir le jour.
Au final, le projet aura réuni 4 904 personnes pour un budget de 386 104$. Ce n’est pas un budget énorme, mais le jeu n’était pas non plus vendu très cher : 64$ avec des standees (des monstres en carton) et 79$ avec des monstres en plastique.
C’est bien en dessous des 140 € de la version française qui se compose de standees. Mais on imagine bien que le tirage français est beaucoup plus faible.
Gloomhaven va vous demander une grande table...
La VF de Gloomhaven, un rêve exaucé
Gloomhaven, c’est le jeu de la démesure : 90 scénarios, 1700 cartes, autant dire que la boîte pèse son poids… soit une quinzaine de kilos.
On imagine donc logiquement que traduire un mastodonte pareil n’était pas une mince affaire, et voir sortir une version française semblait relever du doux rêve… qui a été réalisé par Asmodée qui s’est chargé de publier une version française basée sur des traductions effectuées par les fans.
Oui, Asmodée, le géant parfois accusé d’être un Big Brother du milieu. J’imagine que la commercialisation d’un tel jeu n’est pas dictée par l'appât du gain, mais plutôt pour montrer aux joueurs passionnés que même une énorme boite comme Asmodée continue d’aimer le jeu de société. Je suis peut être un peu ingénu, mais je ne vois pas pourquoi ils l’auraient sorti autrement.
Pachydermique, géant, énorme
Comme dit plus haut, il va falloir prendre votre temps avant de prendre le jeu en main. Déjà, rien que pour ranger la boite, cela ne sera pas une mince affaire.
Une fois tout dépunché (et il y a une petit vingtaine de punchboards !), malgré la grande taille de la boite, tout ne tient finalement que difficilement !
Le très épais livret des quêtes.
Un jeu qui se joue comme une grande aventure
Pour schématiser, on pourrait voir Gloomhaven comme une sorte de Descent boosté de partout et, surtout, non asymétrique.
Là où dans Descent un joueur devait jouer les méchants, dans Gloomhaven les adversaires sont gérés automatiquement selon des règles plutôt simples. Et c’est tant mieux, car je déteste les jeux asymétriques (c’est tout le temps moi qui doit me coltiner les méchants).
Le jeu est une longue campagne. Il y a 90 scénarios, mais au final il est impossible de tous les faire car il y a des embranchements qui vont bloquer certaines trames narratives. Et même chose pour certaines de vos actions.
Il y a donc un très grand plaisir à progresser dans les différents arcs scénaristiques proposés par le jeu.
Un système de jeu particulièrement bien foutu
Le système se base sur des cartes et se révèle sacrément bien pensé. Votre personnage dispose de son propre deck, avec des actions qui lui sont propres. Ce deck se compose de 8 à 12 cartes, pas plus.
Déjà, rien que pour venir à bout de punchboard, cela va vous demander un bon paquet de temps !
Chaque carte est coupée en deux, avec une action en haut et une action en bas de la carte. A votre tour, vous allez jouer deux cartes, ce qui va vous donner deux actions à effectuer : vous devez prendre l’action du haut de l’une des deux cartes, et l’action du bas de l’une des deux cartes.
Une fois jouées, les cartes vont dans deux types de défausses : la défausse temporaire et la défausse permanente (qui n’est jamais reprise de tout le scénario). Lorsque vous n’avez plus assez de cartes, il faut vous reposer afin de récupérer vos cartes en main… mais cela vous coûtera une carte qui ira dans votre défausse permanente.
Et c’est comme ça que vos héros se fatiguent ! Et s’ils n’ont plus de cartes à jouer, ils sont hors course, il sont épuisés et ont besoin de se reposer. Sacrément bien pensé non ?
Et tout est basé sur ces cartes, comme l’ordre du tour par exemple, qui ne sera jamais le même puisqu’il est défini par les chiffres présents sur les cartes des joueurs et des monstres. Et cela donne lieu à de grandes discussions entre joueurs : “attend je peux bourriner et faire de la place, j’ai une initiative super basse”, “non, il faut que je me soigne, mais j’ai une initiative pourrie, il faut m’aider sinon je vais me faire tuer !”. Bref, la stratégie est de mise.
Côté difficulté, c’est franchement bien dosé, chaque mission se termine généralement sur le fil du rasoir.
Vos personnages sont en plastique, les adversaires sont en carton.
Mais pourquoi du legacy ?
Il ya une chose qui me blase profondément, c’est que lorsque vous jouez à Gloomhaven, vous bousillez votre matériel à grands coups d’autocollants.
Car pour faire monter vos personnages en niveau, vous allez coller des étiquettes sur leurs cartes d’action tandis que vous allez coller sur un plateau de jeu qui sert de carte d’autres autocollants afin de spécifier les endroits où vous êtes déjà allés.
Pour moi, c’est clairement l’énorme point faible de Gloomhaven.
Certes, le legacy provoque ce petit frisson à chaque fois que l’on ouvre une enveloppe ou une boite scellée. Mais de là à bousiller son matériel, il y a quelque chose qui me dépasse.
Comment peut-on dépenser 140€ pour 15 kilos de matériel pour ensuite finir par le jeter ? Sans êtres activiste écolo, cela me gêne énormément. Pas seulement pour la planète, mais également pour mes enfants : je ne pourrais jamais leur faire jouer à ce jeu. Ou alors, il faudra que je dépense à nouveau 140€… Mais dans 10 ans, je doute que le jeu ne soit encore disponible.
Les monstres avec leur système de points de vie, super bien pensé.
Heureusement, il existe des planches de stickers décollables. Elles ne sont disponibles qu’en anglais, mais cela permet de ne pas saloper votre jeu… Mais dans ce cas, pourquoi ne pas l’avoir intégré directement dans la boîte ?
Et la campagne, elle est bien ?
La campagne est vraiment sympa, on a vraiment un côté “jeu dont vous êtes les héros”. On choisi ses différents chapitres comme on a envie de continuer l’histoire, et de creuser ce qui ressemble beaucoup à différentes enquêtes.
Le truc, c’est qu’au final l’intrigue n’est souvent pas très intéressante ni vraiment très travaillée. Mais beaucoup d’autres choses donnent envie de continuer.
Départ en retraite
Déjà, on a envie de découvrir les nouvelles classes de héros. Le jeu en propose 17 dans la boîte, dont seulement quelques unes sont accessible dès le début de l’aventure. Le truc, c’est qu’il est assez complexe de savoir ce que l’on va débloquer, et il m’est arrivé de débloquer de nouvelles classes qui ne m'inspiraient pas du tout.
Oui, parce que dans Gloomhaven on ne joue pas un seul héros durant toutes les parties. Car après quelques scénarios, il y a fort à parier que votre héros va avoir terminé ses aventure et prendra sa retraite.
Le nombre énorme de dalles permet d'avoir des niveaux très différents.
Lorsque vous choisissez votre héros, vous tirez une carte quête que vous gardez secrète. Souvent assez abscons au premier abord, vous allez peu à peu comprendre de quoi il retourne. Et quand vous aurez mené à bien cette quête, il sera temps de la retraite, que vous le vouliez ou pas ! Vous devez alors ranger votre personnage et en prendre un nouveau, tout frais, avec une nouvelle carte quête.
Heureusement, un système astucieux permet de garder une partie du leveling effectué avec vos anciens héros.
Et du coup, il est si indispensable que cela ?
Gloomhaven c’est du gros, mais c’est du bon. Et c’est surtout un jeu qui fourmille d’idées souvent très novatrices qui font de ce jeu finalement très classique de porte / monstre / trésor une expérience totalement différente de ce que l’on avait pu connaître.
Pour l’aborder, il faut du temps. Beaucoup de temps. Chaque scénario dure entre deux et trois heures, de quoi vous permettre quelques dizaines de soirées de jeu bien remplies !
Et c’est peut être là le soucis de Gloomhaven au final : les scénarios peinent à se renouveler et, si le gameplay est enrichi par des idées très intéressantes, il peine à se renouveler au gré des (nombreuses) parties que vous allez mener.
Le système de combat est particulièrement intéressant.
La taille de la boite de Gloomhaven, par rapport à celle d'un Splendor par exemple.
Gloomhaven, un jeu pour 1-4 joueurs de Isaac Childres, illustré par Alexandr Elichev, Josh T. McDowell et Alvaro Nebot, édité par Asmodée pour des parties d'environ 2 à 3h.
Age conseillé : 14+.