A la fin des années 1980, Nintendo jouit d'une hégémonie sans précédent dans le monde du jeu vidéo avec sa désormais légendaire Famicom. Dévorant la quasi totalité du marché, Nintendo semble ne pas avoir à se soucier de l'avenir. Pourtant, M. Yamauchi, alors président de la firme, est bien conscient que cet état de fait ne peut pas durer éternellement. Pour le maintenir le plus longtemps possible il faut se renouveler et lancer de nouvelles machines.

Avant l'avènement de la Famicom, Nintendo avait déjà fait grand bruit avec les Game & Watch, ces petits jeux électroniques disposant jusqu'à deux écrans et mettant en scène les personnages les plus connus de Nintendo comme Mario Bros ou Donkey Kong. C'était il y a déjà presque dix ans. Durant ces années, la technologie a évolué, et le principe de console portable à cartouche peut maintenant décemment être envisagé.

La légendaire Game Boy grise.
La légendaire Game Boy grise.

Quoi de plus logique que de confier le développement d'un tel projet au même inventeur que les Game & Watch, Gunpei Yokoi ? L'idée principale est de proposer une Famicom portable, avec le même principe de cartouches de jeu interchangeables. Le projet est d'ailleurs nommé Pocket Famicom.
Si sur le papier l'idée a de quoi séduire, elle fera passer un certain nombre de nuits blanches à notre inventeur, aussi génial soit-il. Tout comme pour le projet de Famicom, le rapport technologie / coût semble impossible à tenir. La future machine étant portable, son prix doit, dans l'esprit collectif, être plus faible que celui de sa consoeur de salon. Un comble pour une machine qui est techniquement bien plus aboutie !
Gunpei fait alors un choix drastique : la console ne sera pas couleur, mais monochrome. Les écrans couleur sont en effet bien trop chers et gourmands en énergie. En effet, au yeux de son chef de projet, la future Game Boy devra avoir une autonomie d'au moins dix heures, sans cela elle ne sera pratiquement d'aucune utilité. Le fait de pouvoir la brancher sur le secteur n'est pas non plus une bonne alternative.

Dans ce cas autant se reporter sur une console de salon si on doit évoluer avec un fil à la patte.
Ce choix sera fait par la sortie d'un nouveau type d'écran monochrome, utilisant la technologie dite chip on glass, une version plus cheap mais presque aussi efficace que la technique utilisée sur les écrans de télévision. C'est Epson qui a inventé ce concept, mais c'est une jeune société du nom de Citizen qui propose le meilleur prix. Un devis leur est demandé, mais la firme au plombier ayant l'habitude de travailler avec Sharp, un autre devis est demandé en parallèle. Il faut savoir qu'au Japon, un fournisseur, c'est sacré, il ne faut pas le trahir... Tout rentre finalement dans l'ordre quand Sharp accepte d'aligner ses tarifs sur ceux – plus avantageux – de Citizen.

La notice était fournie dans une jolie enveloppe estampillée Nintendo.
La notice était fournie dans une jolie enveloppe estampillée Nintendo.

Un prototype d'écran sort bientôt des usines, bien vite monté sur une pré-version de ce qui donnera la Game Boy. Gunpei donne sa validation aux gens de chez Sharp pour lancer une fabrication à grande échelle. Peu de temps plus tard, il présente le prototype à M. Yamauchi, qui prend la console instinctivement comme nous le faisons maintenant : inclinée vers le haut. Le constat est sans appel : c'est illisible, on ne voit rien à l'écran ! Gunpei Yokoi, habitué des Game & Watch, tenait la machine inclinée vers le bas. Le fait est que naturellement, ce n'est pas comme cela que les gens joueront.
C'est une catastrophe, il faut arrêter la production de ces milliers d'écrans, envoyant à la poubelle une bonne partie des quatre milliards de yens investi par Sharp pour la mise en place de la chaîne de production. Gunpei en est tellement affecté qu'il songe même à un moment à ce suicider.
Toute la technique de l'écran est alors revue très rapidement. C'est finalement le STN qui sera utilisé. La qualité d'affichage est très bonne, mais l'affichage se veut très lent, ce qui fait que pour les jeux à scrolling, on n'y verra pas grand chose. Tant pis, le temps presse et il faut pouvoir proposer rapidement un produit fini. Après tout un tas de recherches visant à avoir un bon compromis entre netteté et rapidité d'affichage, les ingénieurs de Sharp n'arrivent pas à se mettre d'accord, si bien qu'une molette permettant de régler le contraste réglera par la même occasion les querelles scientifiques occasionnées. Il faut reconnaître que l'acuité visuelle de chacun étant différente, cette option est encore la meilleure.

Une fois le problème de l'écran solutionné, moult autres se présentent alors. Le premier reste encore lié à l'affichage : pourquoi utiliser un écran monochrome ? Si les choix techniques sont aisément explicables, beaucoup se posent la question de l'utilité d'une telle représentation graphique dans un monde où tout évolue si vite, et où tous les yeux sont rivés sur les possibilités graphiques des nouvelles Nec PC-Engine CD-Rom et autres Sega Megadrive.
Même au sein des locaux de Nintendo, le projet croule sous les quolibets. La machine est d'ailleurs nommée DaMé Game, un jeu de mot entre DotMatrix - le système d'affichage – et le mot japonais Damé – voulant dire mauvais. Seul M. Yamauchi semble croire au projet de Gunpei Yokoi.

Quelques accessoires, ici la loupé éclairante et une Game Génie, qui permettait de tricher dans les jeux.
Quelques accessoires, ici la loupé éclairante et une Game Génie, qui permettait de tricher dans les jeux.

La fameuse Game Boy sort le 21 avril 1989 au Japon. Elle est attendue au tournant. Quatre jeux sont disponibles à sa sortie, chacun touchant une cible bien particulière. Yakuman, un jeu de mah-jong, permet aux adultes de s'adonner à ce genre très prisé dans les transports en commun. Baseball et Alleyway – un casse-briques – s'adressent à tout genre de public. Mais c'est très certainement Super Mario Land qui va déclencher la folie autour de cette nouvelle venue. Pour beaucoup l'un des meilleurs Mario sortis, il sait prendre parti des faibles caractéristiques techniques de la portable monochrome pour les transcender et nous proposer un jeu au fun assez incroyable. Rien que la première année, 4,15 millions d'exemplaires du jeu vont s'écouler.

Devant un tel succès, les éditeurs tiers, jusque là murés dans l'expectative, s'empressent de signer des contrats avec Nintendo pour pouvoir bénéficier du fameux Seal of Quality, et ce malgré les conditions drastiques de la firme au plombier.
La vague de jeux cultes ne fait que commencer. Tetris arrive seulement deux mois plus tard. Reprenant le principe inventé par Alexei Pajitnov, ce puzzle game totalement addictif aura marqué toute une génération. Ce n'est pas un hasard si la firme décidera de fournir ce jeu en bundle avec la console en Europe.

Quelques brochures publicitaires de l'époque.
Quelques brochures publicitaires de l'époque.

Pour cette fois, Nintendo ne tardera pas à conquérir le marché étranger. Les erreurs passées avec la Famicom ne se reproduiront pas : cette fois, pas question de laisser le temps à la concurrence d'investir des marchés.
La sortie en France s'accompagne d'un grand tapage axé autour d'une fête se déroulant à la Défense en 1990. Même Alexei Pajitnov sera convié ! La publicité en parallèle fait rage. Des bornes permettant de jouer à la Game Boy sont disséminées dans les magasins, des prospectus de la taille d'une Game Boy présentent les premiers jeux. Le bilan est sans appel : 1.4 millions d'unités vendues uniquement en France rien que la première année !
Toujours en Europe, et pour l'anecdote, on pourra noter la connerie monumentale de la nature humaine puisque certains consommateurs – ardents défenseurs des droits de la personne, n'en doutons pas – traînent Nintendo en justice, argumentant que le nom de leur console est sexiste, et qu'il faut renommer la console en Game Kids. C'est d'une nullité sans fond. Vous l'imaginez bien, cette histoire n'aura aucune suite.

La concurrence que Nintendo s'est empressé de briguer en sortant sa machine mondialement le plus rapidement possible ne se fait pas attendre. Sega avec sa Game Gear ou encore Atari et sa Lynx proposent des machines qui, sur le papier, font figure de Game Boy killer. Pourtant il n'en sera rien. Avec un écran couleur rétro-éclairé, ces machines consomment bien trop, sont de taille assez volumineuses, les propulsant au statut de consoles transportables plutôt que de réelles portables. La Lynx d'Atari pâtira d'un trop faible nombre de bons jeux et d'une publicité assez restreinte. La Game Gear s'en sortira tout de même mieux, mais sans pour autant pouvoir concurrencer la portable de Nintendo qui n'en est alors qu'au début de son hégémonie.

La malette de transport, il en existe plusieurs autres modèles plus ou moins grands.
La malette de transport, il en existe plusieurs autres modèles plus ou moins grands.

La suite est encore bien longue. Quelques temps après la sortie de cette première version, d'autres versions sortent. Ce sont les Game Boy de Couleur. Tout est dans la nuance vous remarquerez... Des coques jaune, noire, bleue et même transparente voient le jour. Tout le monde attend la Game Boy avec écran couleur, Nintendo riposte avec de la couleur dans la robe de ses machines. Un joli clin d'oeil. Mais pour la réelle version couleur, il faudra encore attendre quelques années.
Au niveau des jeux, il y tellement à dire qu'il faudrai carrément un site sur le sujet. Une console à la durée de vie aussi énorme dispose bien évidemment d'une ludothèque très étendue. Beaucoup de séries classiques disposent de leur version Game Boy. On remerciera les développeurs de l'époque de nous proposer des versions exclusives, plutôt que des portages simples. Cela s'explique premièrement par les faibles capacités techniques de la console, qui ne permettent pas de portages, mais aussi par le goût de l'époque qui n'était pas encore à l'ordre du cross plates-formes.

Ainsi, Castlevania connaît une première version assez moyenne, et relèvera le niveau pour le deuxième opus.
Zelda, Link's Awakening est très certainement l'une des cartouches les plus marquantes de la console. Les graphismes sont très fins malgré les quatre niveau de gris et la faible résolution. On se croirait presque dans une version de Zelda III sur Super Nintendo ! Tout simplement magique.
La vie de la Game Boy va encore longuement continuer grâce à de nouvelles versions de la console. Et notamment la Game Boy Pocket, édition réduite de la Game Boy, avec un écran toujours aussi désespérément noir et blanc.

La Game Boy a été tournée à toutes les sauces, ici un livre-jeu pour enfants.
La Game Boy a été tournée à toutes les sauces, ici un livre-jeu pour enfants.

Source principale : Retro-Game et GameFan.


Quelques cartouches... Il en existe tellement !
Quelques cartouches... Il en existe tellement !


La boîte du légendaire Zelda, Link's Awakening. Un chef d'oeuvre !
La boîte du légendaire Zelda, Link's Awakening. Un chef d'oeuvre !


Un petite photo de famille, non exhaustive.
Un petite photo de famille, non exhaustive.


Avec ses niveaux de gris très limités, la Game Boy est tout à fait capable de faire proposer des graphismes très sympathiques.
Avec ses niveaux de gris très limités, la Game Boy est tout à fait capable de faire proposer des graphismes très sympathiques.


Encore quelques morceaux de bravoure.
Encore quelques morceaux de bravoure.

Nintendo Game Boy côté technique

Microprocesseur : Z80 like a 4Mhz
Vidéo : écran monochrome, non rétroéclairé, résolution de 144*160 pixels, 3 nuances
Son : stéréo
Prix d'origine : 1490 Frs